Cosmologie traditionnelle chinoise

Troncs célestes et branches terrestres.

Remarque préliminaire : ce texte présente certains fondements de la cosmologie traditionnelle chinoise, essentiels dans l’astrologie de la Chine ancienne. Il présente les divisions du temps qui y sont toujours la référence.

Contrairement à la manière dont la science contemporaine nous a habitués à envisager le temps, il ne s’agit pas d’une grandeur définissable en terme de quantité (date, durée) et homogène (un instant en vaut toujours un autre). Cette approche a son domaine de validité en physique, mais demeure très limitative.
En fait, même dans les sciences « exactes », on ne mesure jamais le temps, mais une grandeur exprimant un changement (mouvement des astres autrefois, transition énergétique d’un isotope de l’atome de césium aujourd’hui, ce qui donne l’illusion d’être plus précis). Le temps en tant que tel demeure insaisissable pour la mesure.
Les civilisations traditionnelles, bien que reconnaissant la nécessité de mesurer le changement des êtres physiques, avaient une approche toute différente du temps. Pour elles, le temps est avant tout qualifié. Un instant se définit par une « tonalité » propre, qui le distingue radicalement d’un autre instant. Et ceci sans aucune considération quantitative. C’est sur ce genre d’approche qu’est fondé le système des « heures planétaires » en astrologie traditionnelle occidentale, qui nous vient de Mésopotamie. Mais toutes les cultures ont connu cette notion de « temps qualifié » et la cosmologie traditionnelle chinoise ne fait pas exception.

 

Les cycles

Pour comprendre cette qualification du temps, on doit envisager les deux aspects de celui-ci : cyclique et linéaire. Nous disons que le temps « s’écoule », c’est sa dimension linéaire, et c’est la seule dont s’approche la mesure en physique, car cette linéarité du temps est exprimée par les changements dans les phénomènes physiques, changements irréversibles, puisque rien ne se répète jamais strictement à l’identique.
Ce caractère unique de chaque instant, inscrit dans une succession sans début ni fin, et exprimant un état de l’univers qui ne s’était jamais produit et ne se reproduira plus, ne peut être symbolisé que par une ligne. Chaque point de la ligne est différent d’un autre et c’est ce qui donne sa qualité propre à un instant donné. Pour symboliser la qualité d’un instant, le recours à des techniques divinatoires reposant sur le Yi Jing « Livre des mutations » permet de lui associer un hexagramme ayant des traits mutants conduisant à un deuxième hexagramme. Ce deuxième hexagramme manifeste ce dont l’instant du tirage est porteur de façon occulte, ce qui va conditionner les instants futurs.

Hexagrammes

Par contre, nous expérimentons aussi un aspect cyclique du temps, perceptible dans la répétition régulière de phénomènes (saisons, cycles astronomiques, cycles physiologiques). Là encore, le temps va être « coloré » par le moment du cycle en cours et il va en résulter une qualité particulière de chaque instant, exprimant cette fois l’appartenance de cet instant à un cycle déterminé dont il est l’une des composantes. Dans la cosmologie traditionnelle chinoise, ce sont les troncs célestes et les branches terrestres qui « colorent » chaque cycle.

 

Troncs célestes

Ce système est attesté dès la dynastie Shang (âge du bronze), mais il est probable qu’il remonte à l’époque Xia (néolithique). Des os de moutons ont été retrouvés portant gravés les signes des troncs célestes. Ces marques avaient été faites par les devins qui utilisaient les ossements d’animaux.
Les troncs célestes sont au nombre de dix. Le Tai Ji (union dynamique du yin et du yang à la racine de tous les phénomènes et de leurs transformations) nous présente le monde comme résultat des interactions du yin et du yang, opposés et complémentaires. Le yin est l’aspect passif, réceptif, féminin des phénomènes, le yang leur aspect actif, puissant et masculin. Chaque phénomène doit comporter un aspect yin et un aspect yang par conséquent, afin de prendre place dans l’existence qui est changement continuel, les phases de croissance et de décroissance du yin et du yang rythmant ce changement.

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Le mouvement cosmique, produit des actions et réactions du yin et du yang , comporte des phases distinctes correspondant à cinq modalités, les cinq agents (ou cinq éléments) : croissance, apogée, arrêt, déclin et disparition sont associés respectivement au bois, au feu, à la terre, au métal et à l’eau. Il s’ensuit que chaque agent a lui aussi un aspect yin et un aspect yang. Le temps se présentant à nous comme flux cosmique manifestant le changement des phénomènes, il sera naturellement qualifié par dix entités, les troncs célestes, chacun se rattachant à l’aspect yin ou yang de l’un des cinq agents.

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Cette division en dix des choses est conforme à la numérologie traditionnelle de différentes cultures. "Dix" manifeste l’unité se projetant dans la multiplicité, et la possibilité du retour à l’Un à partir du multiple. Dans la civilisation traditionnelle chinoise, dix exprime l’unité du cosmos, Tai Yi, le Grand Un, présent en filigrane derrière la multiplicité apparente des phénomènes. On peut donc pressentir que si le temps est exprimé par dix entités, cela indique que derrière ses diverses colorations, le temps est un. Et puisque ces diverses colorations marquent la différence des instants entre eux, c’est que cette différence n’est que superficielle, la trame du temps étant une et chaque instant ne pouvant être indépendant d’un autre, passé ou futur. Les caractéristiques propres à chaque instant n’empêchent pas que, de manière occulte, toute la trame du temps forme unité et que chaque moment est expression particulière de l’ensemble. Ainsi la physique moderne a rencontré des succès en supposant le temps homogène (car la trame est une), mais elle ne peut rendre compte des phénomènes qui s’appuient sur la différentiation propre à chaque instant. Unité n’est pas uniformité, c’est ici que se situe la faille dans l’approche des physiciens. Il n’est pas étonnant que les troncs célestes aient été utilisés par les devins. L’acte divinatoire n’est possible que lorsque l’unité fondamentale du temps est pressentie, et nous venons de voir que les dix troncs en constituent le symbole, renvoyant par la présence du dénaire à l’unité et par leurs caractéristiques propres à la particularité de chaque moment.

Les dix troncs célestes

 

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Jiǎ Bǐng Dīng Gēng Xīn Rén Guǐ

 

Jia : tronc de bois yang. Il est représenté par une pousse qui tente de briser la cosse de la graine où elle est enfermée.
Il marque les commencements.
Yi : tronc de bois yin. Il est représenté par une jeune pousse fragile.
Il exprime la croissance des phénomènes sur la lancée de l’impulsion initiale.
Bing : tronc de feu yang. Il est représenté par une pousse sortie de terre et ayant atteint sa pleine dimension.
Il marque l’atteinte de l’apogée des phénomènes au maximum de yang.
Ding : tronc de feu yin. Il est représenté par une plante dans sa force maximale.
Il marque le moment où, subtilement, le yang est arrêté et régresse de façon insensible.
Wu : tronc de terre yang. Il est représenté par un foisonnement de végétaux.
Il marque le moment où la domination du yang donne tous ses fruits, mais s’épuise.
Ji : tronc de terre yin. Il est représenté par un signe indiquant peut-être un végétal mûr.
Il marque le moment où les effets de la régression du yang deviennent patents.
Geng : tronc de métal yang. Le signe semble représenter un homme entravé sous un toit.
Il marque la régression des phénomènes.
Xin : tronc de métal yin. Le signe qui le représente est symbole de renouveau.
Il marque la destruction des phénomènes, mais en même temps cette destruction contient le germe d’un nouveau cycle.
Ren : tronc d’eau yang. Le signe qui le représente signifie conception.
Il marque le repos dans la non-manifestation, à l’apogée du yin, où pourtant les restes du cycle de manifestation précédent engendrent de façon occulte les germes du nouveau cycle.
Gui : tronc d’eau yin. Il est représenté par une pousse qui attend son heure dans la terre.
Il marque la gestation des phénomènes non encore manifestés.

 

Branches terrestres

Nous avons examiné la vision dénaire du temps. Mais il existe aussi une vision duodénaire, que plusieurs civilisations ont connue. Chaque pleine lune se situe approximativement au même endroit chaque année, par rapport aux constellations que la Lune parcourt. Ainsi l’année comporte douze lunaisons, et au cours de chacune, la pleine lune se trouve au voisinage d’un secteur donné du ciel. Le fait qu’en Chine on ajouta une treizième lunaison tous les trois ans à l’année pour combler le décalage entre les cycles solaire et lunaire n’empêche pas qu’un certain rythme duodénaire semblait s’imposer dans une année, qualitativement, puisque chaque lunaison marque une phase de déploiement ou de repliement de la nature. Par ailleurs, tandis que ce rythme duodénaire est apparent dans le cycle lunaire, il marque aussi celui du mouvement de Jupiter. Tous les ans, Jupiter passe au voisinage d’une des constellations où a lieu une pleine Lune dans l’année. Enfin, le rythme duodénaire est présent dans le cycle quotidien du Soleil, et les Chinois adoptèrent un système de douze périodes dans la journée, qui correspond à la fois aux variations de l’éclairement et au rythme du corps (circulation du qi, énergie vitale, dans les douze méridiens principaux que connaît la médecine traditionnelle chinoise).
Tout cela conduit à l’élaboration du système des douze branches terrestres, qui symbolisent ce rythme duodénaire. Ce rythme semble beaucoup plus ancré dans les phénomènes perceptibles que dans la dynamique subtile du yin et du yang par rapport aux cinq agents. C’est peut-être pour cela que les branches sont terrestres et les troncs (fondements occultes de la qualification du temps) célestes. C’est peut-être aussi pour cela que les branches sont plus couramment citées que les troncs. Néanmoins, étant donné les caractéristiques propres des branches et le fait que yin et yang comme les cinq agents sont universels, chaque branche relève tout de même de l’un de ces aspects. Notons que les animaux de l’astrologie populaire chinoise ne sont autres que les branches terrestres.

Les douze branches terrestres

 

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Chǒu Yín Mǎo Chén Wèi Shēn Yǒu vv Hài

 

Zi : c’est la branche qui marque l’apogée du yin et la renaissance du yang dans les phénomènes sensibles. Elle est représentée par un enfant.
Elle relève de l’agent eau et de la polarité yang.
Chou : c’est la branche qui correspond à la croissance occulte du yang au sein du yin. Elle est représentée par un végétal encore souterrain.
Elle relève de l’agent terre et de la polarité yin.
• Yin : c’est la branche marquant l’apparition du yang encore dominé, mais patent : son signe montre une plante sur le point de sortir.
Elle relève de l’agent bois et de la polarité yang.
Mao : c’est la branche marquant le passage de la prépondérance du yin à celle du yang. Elle est représentée par deux battants d’une porte ouverte (par où sort la lumière).
Elle relève de l’agent bois et de la polarité yin.
Chen : c’est la branche marquant l’affermissement de la domination du yang. Elle est représentée par un végétal en pleine croissance.
Elle relève de l’agent terre et de la polarité yang.
Si : c’est la branche marquant la course du yang vers son apogée. Elle est représentée par une plante s’élevant vers le ciel.
Elle relève de l’agent feu et de la polarité yin.
Wu : c’est la branche marquant l’apogée du yang et son arrêt. Elle est représentée par une plante ayant atteint sa hauteur maximale.
Elle relève de l’agent feu et de la polarité yang.
Wei : c’est la branche marquant la fructification de l’action du yang en même temps que son épuisement . Elle est représentée par une gerbe de céréales.
Elle relève de l’agent terre et de la polarité yin.
Shen : c’est la branche marquant l’apparition nette des effets de la régression du yang encore dominant. Elle est représentée par un signe indiquant l’équilibre des forces opposées. Elle se situe à mi-cycle en effet si le cycle commence à la branche yin (puisque la branche yin marque l’apparition du yang).
Elle relève de l’agent métal et de la polarité yang.
You : c’est la branche marquant le passage de la prépondérance du yang à celle du yin. Elle est représentée par une plante mise à macérer dans l’alcool.
Elle relève de l’agent métal et de la polarité yin.
Xu : c’est la branche marquant l’affermissement de la domination du yin. Elle est représentée par un instrument aratoire rangé sous un auvent.
Elle relève de l’agent terre et de la polarité yang.
Hai : c’est la branche qui marque l’effondrement du yang. Elle est représentée par un signe symbole d’enfouissement et de ténèbres.
Elle relève de l’agent eau et de la polarité yin.

 

L'association troncs/branches

Nous avons vu que les troncs célestes se succèdent selon un cycle dénaire et les branches terrestres selon un cycle duodénaire. Ces deux systèmes représentant des qualifications du temps complémentaires, il était naturel de les associer. En effet, les cycles se trouvent imbriqués les uns dans les autres, ce qui conduit à une différentiation d’autant plus riche des divers instants. En revanche, cette imbrication ne se fait pas n’importe comment. Ainsi, un tronc yin ne pourra être associé qu’à une branche yin et un tronc yang à une branche yang. Ceci conduit à soixante modalités différentes d’association. Celles-ci vont se projeter dans les cycles des années, des mois, des jours et des heures.

 

Le cycle des années

Les soixante associations se projettent dans la succession des années sous forme d’un cycle de soixante ans, qui commence toujours par l’association Jia/Zi. Puis vient l’année Yi/Chou, etc. jusqu’à ce que le cycle des troncs soit achevé. L’année Jia/Xu et l’année Yi/Hai termineront le cycle des branches, qui recommencera avec l’année Bing/Zi. Au bout de soixante ans, l’année Jia/Zi marquera le début d’un nouveau cycle troncs/branches.
Notons que l’astrologie populaire chinoise désignera la branche par l’animal qui lui a été associé tandis qu’elle lui attribuera l’élément du tronc avec leque elle est couplée. Ainsi l’anné Jia/Zi est l’année du rat de bois, Yi/You l’année du buffle de bois, etc.
Les cycles débutent de façon symbolique en l’année 2697 avant l’ère chrétienne, car selon la mythologie chinoise, c’est l’avènement de l’Empereur Jaune (Huang Di). Nous traversons actuellement le 79è cycle, commencé en 1984. On regroupe aussi les cycles en grand cycle, cycle moyen et petit cycle (ce qui fait un total de 180 ans). Le cycle actuel est un petit cycle.

 

Le cycle des mois

Chaque année étant régie par un tronc et une branche, il en est de même des mois, mais l’association se fait différemment. Nous présentons ici le système le plus courant en Chine. Les Tibétains ont retenu un système différent dans leur astrologie. Pour ce qui est des troncs, le premier mois de l’année (qui est celui de la branche Yin) se voit associer un tronc yang (puisque la branche qui le régit est de polarité yang). Si l’année est régie par le tronc Jia, son premier mois est régi par le tronc Bing. Puis les troncs se succèdent dans l’ordre du cycle d’un mois à l’autre. Le premier mois de l’année suivante (régie par le tronc Yi) sera alors associé au tronc Whu, etc. Par exemple, 2010 est une année Geng/Yin. Son premier mois est régi par le tronc Whu.
Pour les branches, c’est beaucoup plus simple : la branche Yin régit le premier mois (février/mars), et les branches se succèdent dans l’ordre du cycle, quelle que soit l’année.

 

Le cycle des jours

Il est à l’image de celui des années, avec la même succession, mais sans rapport direct avec le tronc ou la branche de l’année. Il est donc autonome. Cette année (Yi/Wei) le premier jour du mois Yin selon le calendrier des 24 souffles articulaires de l’année (utilisé en particulier en feng shui) était régi par le couple Xin/Hai, ce qui correspond au 4 février.

 

Le cycle des heures

Ce sont des heures doubles. La journée débute à l’heure comprise entre 23h et 1h, heure solaire (nous verrons qu’elle est régie par la branche Zi). Si le tronc céleste du jour est Jia, cette première heure est régie par le tronc Jia (bois yang) également.
Notons que l’heure Zi est de polarité yang, et donc le tronc qui la régit ne peut être que yang. Par contre les cinq agents se succèdent dans l’ordre pour les troncs de la première heure en fonction du tronc du jour. Ce qui fait que si le tronc du jour est Yi, le tronc de la première heure sera Bing (tronc yang de feu qui suit le bois), si le tronc du jour est Bing, le tronc de l’heure Zi sera Whu (tronc de terre yang), etc.
Pour les branches, c’est là encore beaucoup plus simple. La branche Zi régit la première heure (entre 23h et 1h). La branche Chou la deuxième heure (entre 1h et 3h), et ainsi de suite dans l’ordre du cycle.
Ce qui précède est la qualification des heures le plus souvent retenue par les praticiens de la divination utilisant le Yi Jing. Toutefois, le cycle des heures est intimement lié aux prédominances du yin ou du yang (heures diurnes et nocturnes) et cette prédominance varie au cours de l’année puisque les jours allongent ou raccourcissent.
Les Tibétains ont adopté ce système des branches horaires, mais en prenant des heures inégales. Ainsi l’heure où a lieu le lever du Soleil (heure Mao) et celle où le Soleil se
couche (heure You) ont toujours une durée de deux heures équinoxiales, le lever ou le coucher du Soleil prenant place approximativement en leur milieu. Ces heures se partagent en effet entre jour et nuit. Par contre, on divise par cinq la durée allant de la fin de l’heure Mao au début de l’heure You pour obtenir la durée des heures diurnes. De même, on divise par cinq la durée allant de la fin de l’heure You au début de l’heure Mao pour obtenir la durée des heures nocturnes. Ainsi, les heures nocturnes seront plus longues entre l'équinoxe d'automne et l’équinoxe de printemps et au contraire, les heures diurnes seront plus longues le reste de l’année.
Ce dernier système apparaît comme le plus naturel, et il est certainement le plus ancien, l’astrologie tibétaine ayant conservé des éléments de cosmologie chinoise dans leur forme archaïque, alors qu’ils furent simplifiés en Chine, et appauvris du même coup.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les troncs et les branches, ainsi que sur leurs multiples applications. Dans la mentalité chinoise ancienne, il est bénéfique pour celui qui souhaite connaître le Tao de comprendre cette qualification du temps, non seulement intellectuellement, mais surtout, intérieurement. Il est par exemple possible de connaître la branche de l’heure par l’intuition ou l’observation, sans calcul. Plus l’adepte ressent les rythmes cosmiques ainsi que ceux de son propre corps, plus il intègre cette trame du temps et son dynamisme profond.

Philippe BONIN

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